Au lendemain de la diffusion d’un Complément d’enquête consacré à la ligne éditoriale de CNews, une polémique oppose l’Arcom et Reporters sans frontières (RSF) sur la question sensible du pluralisme politique dans les médias. Entre méthodologies divergentes, séquence coupée à la dernière minute sur France 2 et accusations croisées, une interrogation domine : comment évaluer de manière transparente et incontestable l’équilibre du débat démocratique à la télévision française ?
Une polémique révélée par une émission télévisée déjà très attendue
Le timing interpelle. Alors que France 2 s’apprêtait à diffuser un Complément d’enquête d’une heure sur CNews, RSF publiait son étude accusant la chaîne d’un déséquilibre massif des temps de parole en mars 2025.
Mais à quelques heures de la diffusion, l’Arcom a publiquement contesté ces conclusions, affirmant ne constater aucun contournement des règles du pluralisme. Résultat : France 2 a coupé en urgence une séquence de son reportage, une décision rarissime dans la production audiovisuelle.
Faut-il y voir une simple question technique, comme l’affirme la chaîne publique, ou le signe d’un malaise plus profond sur la manière dont les institutions et les médias traitent la question du pluralisme ?
RSF et l’Arcom : deux méthodes, deux lectures d’un même paysage médiatique
Le cœur du désaccord repose sur la méthodologie.
- RSF affirme avoir analysé 700 000 bandeaux de chaînes d’info, grâce à un outil automatisé, afin de mesurer la présence des différentes forces politiques sur des plages horaires distinctes.
- L’Arcom, elle, explique n’avoir observé aucune infraction en mars 2025 sur CNews, tout en refusant de fournir des chiffres détaillés pour étayer cette position.
Cette absence de transparence des données du régulateur soulève une question majeure : comment le public peut-il se faire une opinion éclairée lorsque les deux acteurs avancent des chiffres contradictoires, dont l’un reste confidentiel ?
La nuit, nouvelle frontière du pluralisme télévisuel ?
RSF pointe une pratique qu’elle considère comme une forme de “triche” : décaler les invitations de responsables politiques de gauche vers des créneaux nocturnes, moins exposés. Selon l’ONG :
- en prime time, l’extrême droite totaliserait 40,6 % de l’exposition, contre 15,4 % pour la gauche ;
- la nuit, les proportions s’inverseraient, avec 60,1 % de temps pour la gauche, contre 1,6 % pour l’extrême droite.
L’Arcom répond en affirmant que, pour ce mois-là, certaines familles politiques seraient surreprésentées de jour comme de nuit, ce qui contredit totalement l’analyse de RSF.
Cette contradiction pose une question fondamentale : les règles actuelles du pluralisme sont-elles encore adaptées à un paysage médiatique en continu, fragmenté entre prime time, soirées, et heures creuses ?
France 2 contrainte de couper une séquence : simple incident ou symptôme d’un malaise plus large ?
La décision de France 2 de supprimer au dernier moment une séquence critique, faute de pouvoir intégrer le positionnement de l’Arcom, interroge.
Doit-on y voir un respect scrupuleux du contradictoire ?
Ou bien cela met-il en lumière la difficulté des chaînes publiques à traiter des sujets impliquant simultanément un régulateur, des ONG et une chaîne concurrente ?
La question du pluralisme ne serait-elle pas devenue un sujet si inflammatoire que chaque acteur redouble de prudence, quitte à amoindrir la transparence du débat ?
Plus globalement : comment mesurer une notion aussi complexe que le pluralisme ?
À l’heure où les chaînes d’info fonctionnent en continu, où les bandeaux défilent en permanence et où les temps d’antenne ne sont plus strictement liés aux émissions politiques traditionnelles, le mode de calcul historique du pluralisme semble atteindre ses limites.
Les outils d’analyse automatisés comme celui utilisé par RSF représentent-ils une nouvelle voie plus objective ?
Ou risquent-ils, au contraire, de produire une lecture simplifiée d’une réalité éditoriale plus complexe ?
Et l’Arcom, souvent critiquée pour son opacité méthodologique, doit-elle revoir sa manière de publier ses données pour apaiser les soupçons ?
Un débat qui dépasse CNews : quel pluralisme veut-on pour l’avenir ?
À travers cette controverse, c’est toute la question du pluralisme audiovisuel en France qui est relancée :
- un pluralisme mesuré en volume de temps de parole, est-ce suffisant ?
- faut-il aussi mesurer la tonalité, les angles, les cadres narratifs ?
- le pluralisme doit-il s’apprécier chaîne par chaîne, ou globalement à l’échelle du paysage médiatique ?
Ces interrogations, déjà présentes dans le débat public, prennent une nouvelle dimension à la lumière du reportage de Complément d’enquête et des échanges tendus entre RSF et l’Arcom.
Vers une refonte des règles du pluralisme ?
La question n’est plus seulement de savoir si CNews respecte ou non les règles.
La vraie interrogation est peut-être ailleurs : la France dispose-t-elle encore d’outils fiables et transparents pour garantir un pluralisme réel dans un environnement médiatique profondément transformé ?
Entre ONG, chaînes publiques, régulateur et médias privés, la bataille autour des chiffres a révélé une chose : la notion de pluralisme n’a jamais été aussi débattue… et aussi difficile à mesurer.













